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Freud mon amour

By David Caviglioli

Created 05/05/2010 - 12:03

 

Documents Critique Anna G Anna Koellreuter Freud Mon analyse avec le professeur Freud psychanalyse Sigmund Freud 2373

 

Le Journal d'une jeune femme soignée par l'inventeur de la psychanalyse offre un regard neuf sur ses méthodes 

 

Avril 1921, dans la « Vienne rouge » livrée à la famine et aux relents tuberculeux de la guerre. Anna Guggenbühl, jeune Zurichoise de bonne famille, ne sait pas si elle a vraiment envie d'épouser son fiancé Richard. Elle a envoyé une lettre au célèbre professeur Freud. Le chamane de la Mitteleuropa lui a vite répondu :

 

« Je facture 40 francs de l'heure, payables dans votre monnaie chaque mois, mais je ne prends personne qui ne puisse rester jusqu'au 15 juillet. Ce dernier point à lui seul est déterminant.»

 

Anna Keuellreuter

Anna G. en 1921

 

De ses quatre mois d'analyse, Anna G. a tiré un Journal qui agite les milieux scientifiques depuis sa divulgation, en 2007. Il est aujourd'hui publié sous la direction de sa petite-fille, Anna Koellreuter, qui a convoqué pour l'occasion les grands noms de la discipline, d'Ulrike May à Ernst Falzeder. Une question les hante : comment Freud travaillait-il ? Les notes brutes d'Anna G. pourraient receler de précieuses informations : elle n'avait pas en tête de les publier, contrairement à la cohorte d'analysants qui ont largement relaté leurs séances, comme Abram Kardiner ou Hilda Doolittle. Aucune ambition de témoignage ne parasite donc le vagabondage du lecteur dans le cabinet du maître viennois.

Dans l'étrange cabinet du Dr Freud

Il s'y passe des choses étranges. Freud se permet bien des largesses avec l'orthodoxie psychanalytique. Il n'a rien d'un « sujet supposé savoir » ou d'une « conscience flottante » : ses interprétations descendent en piqué sur les verbalisations d'Anna. Quand elle lui raconte un rêve diurne de lycéenne, il lui mâche le travail :

« Vous frôlez de si près le secret de l'étage inférieur que je puis vous le révéler : vous aimiez votre père et ne lui avez jamais pardonné sa trahison avec votre mère.»

 

Il lui conseille l'abstinence sexuelle pendant sa cure, « de sorte que tout apparaisse [ ... ] clairement pendant la séance », tout comme il proscrit les laxatifs à une autre patiente qui associe grossesse et constipation. Anna rompra son voeu de chasteté avec un certain France, remarquablement abrévié en « Fr.» dans son carnet.

La jeune Suissesse n'a rien d'une ingénue. Elle a étudié la psychiatrie et lu la littérature freudienne. Elle accepte de livrer ses rêves où se croisent des chats, des maladies de peau et des pièces de broderie. Elle ne voit pourtant pas venir le coeur de sa thérapie. « Je vous aime d'une façon si indescriptible », finit-elle par dire au vieil homme qui en a vu d'autres. Lorsqu'il lui répond qu'elle est « sous l'emprise du défi à [ses] parents », elle ne peut s'empêcher de griffonner sa douleur :

« Il croit que cet amour peut s'expliquer en majeure partie par là, mais ce n'est pas vrai, O mon Dieu. Comme je l'aime.»

« Cette névrose de transfert est[...] l'un des plus beaux exemples que nous possédions », commente ici John Forrester. Un amour chasse l'autre : à son retour, elle n'épousera pas Richard.

 

« Mon analyse avec le professeur Freud », par Anna G, 
sous la direction d'Anna Koellreuter, Aubier, 352 p., 23 euros.